Zaha Hadid, Lady Gaga de l’architecture ?

Zaha Hadid, Lady Gaga de l’architecture ?

@MatteoStaltari

La disparition progressive de l’instinct humain serait-elle comparable à l’ascension sur la scène musicale d’une Lady Gaga ? Dans une chronique parue le 31 juillet 2012 dans le journal de langue arabe Arch-News, l’architecte Marwa Alsabouni estime que le succès rencontré par l’architecture de Zaha Hadid n’est pas le fruit d’un simple engouement mais un phénomène contemporain.

Emirats Arabes Unis | Zaha Hadid

Contexte
Figure du mouvement déconstructiviste et première femme à obtenir le Pritzker, Zaha Hadid est une architecte reconnue sur la scène internationale. Quel rapport avec la chanteuse Lady Gaga ?
Selon l’architecte Marwa Alsabouni, deux univers radicalement différents peuvent pourtant générer de semblables réactions chez l’être humain.
De nous plonger dans les fondamentaux du déconstructivisme entraînant des conceptions architecturales en rupture avec l’histoire, le site, les traditions et la société.
L’architecture de Zaha Hadid serait-elle thérapeutique ?
SH

LA LADY GAGA DE L’ARCHITECTURE DU XXIE SIECLE
Marwa Alsabouni | Arch-News

ABU DHABI – Si nous allions faire un tour le long de l’avenue principale d’une capitale mondiale, nous y assisterions à un spectacle culturel à nul autre pareil. Nous y verrions sans doute des visages et des corps recouverts de tatouages, de couleurs et de vêtements de toutes sortes. Des voitures à l’allure d’engins spatiaux circuleraient autour de nous et différents écrans électroniques s’allumeraient entre les mains et dans les sacs des passants. Par ailleurs, les vitrines des boutiques ajouteraient aux millions d’images emplissant la rue.

Nous remarquerions sans doute des posters de la célèbre chanteuse Lady Gaga, la plus excentrique d’entre toutes avec ses vêtements, sa coiffure et son maquillage affriolants.

In fine, peut-être croiserions-nous un édifice conçu par l’architecte Zaha Hadid, clou de notre visite, que nous confondrions avec un bâtiment du film ‘Avatar’, de James Cameron.

Tout comme les autres arts, l’architecture a toujours été l’expression de la culture, qui n’est autre que le reflet de la connaissance et de l’instinct humains. Mais qu’en est-il de cette connaissance et de cet instinct aujourd’hui ?

Concernant la connaissance, je pense qu’il n’existe aujourd’hui que des extrêmes. D’un côté, les penseurs les plus sages et les plus grands créateurs, de l’autre, les esprits les plus ignorants.

@Richard Wasenegger

Mais qu’en est-il de l’instinct ? Qu’est-ce que l’instinct et comment l’identifier ? Je pense qu’il fait, de tous temps, partie inhérente de la nature humaine. A l’instar du ‘pilote automatique’ des avions, il assure notre survie.

Depuis son existence sur terre, l’homme se tient à distance de ce qui le met en danger ou provoque sa mort, se rapprochant de la vie. A ce titre, il y a des formes architecturales jugées ‘hostiles’ alors que d’autres seraient, au contraire, ‘chaleureuses’.

Les êtres humains s’éloignent instinctivement de ce qu’ils anticipent comme étant dangereux – même si ce n’est pas le cas -. C’est en substance ce qu’évoque Roger Scruton (un philosophe anglais conservateur, nda) dans son livre The Aesthetics of Architecture (1979), où il explique que le fait de percevoir des formes comme ‘hostiles’ ou ‘cruelles’ n’est pas d’ordre visuel ; il s’agit là d’un phénomène commun qui n’est pas propre à l’architecture.

Roger Scruton ne précise pas clairement pourquoi une forme est perçue comme ‘douloureuse’ par l’esprit humain. Qu’est-ce qui provoque cette appréhension ?

Il s’agit d’expériences instinctives, propres à tous les êtres humains. Ceci expliquerait pourquoi les angles pointus ne sont pas légion dans les espaces publics et notamment les jardins d’enfants. Même s’ils étaient conçus de manière à éviter les accidents, ils provoqueraient ‘automatiquement’ notre méfiance.

@Alfred Essa

Cependant, qu’en est-il de l’instinct aujourd’hui ?

A l’ère des technologies les plus avancées, l’étrangeté – c’est-à-dire le détachement de notre instinct – fait partie de notre quotidien.

Ce phénomène explique-t-il le rayonnement de l’architecture de Zaha Hadid au XXIe siècle ? La privation d’instinct et la recherche de sensations fortes expliquent-elles l’engouement pour ses bâtiments ?

Il est normal pour l’être humain, à l’heure où l’instinct se perd et où le progrès représente un défi quotidien, d’être à la recherche d’aventures telles le saut en parachute, le saut à l’élastique et autres expériences dont les clones de Lady Gaga se font les chantres.

Mais voulons-nous réellement sauter tous les jours d’un avion ? Les jeunes hommes veulent-ils voir leur épouse ressembler à Lady Gaga ?

Si la réponse est ‘oui’, alors les bâtiments de Zaha Hadid rempliraient nos villes.

Cela écrit, si d’instinct nous avons besoin d’entendre le bruit des courants et du vent dans les arbres, comme nous avons besoin de contempler l’ordre de l’univers qui se manifeste dans les feuilles des arbres comme aux pieds des montagnes, de la même façon, nous avons besoin de sauter de temps à autre d’un avion ou de sentir l’orage gronder.

Nous en appelons à Lady Gaga et à l’architecture excentrique de Zaha Hadid pour secouer la monotonie de nos vies et de nos villes.

Arch-News | Marwa Alsabouni | Emirats Arabes unis
31-07-2012
Adapté par : Sipane Hoh

Photo 1 : © Matteo Staltari

Photo 2 : © Richard Wasenegger

Photo 3 : © Alfred Essa

N.B. Cet article est paru en première publication sur le courrier de l’architecte le 12 septembre 2012.