De Chicago à Hong Kong en passant par Paris, l’écriture majestueuse de Frank Gehry ne cesse d’onduler et d’interpeller quiconque la regarde. L’architecte, a l’origine de l’effet Bilbao quand il a livré en 1997 le musée Guggenheim en pays basque, est depuis reconnu du grand public. Visite d’AGO (Art Gallery of Ontario), dont l’extension livrée en 2008 est le seul ouvrage à Toronto, la ville de son enfance, signé Frank Gehry.
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Dundas Street est l’une des artères du coeur de Toronto qui, autrefois, connectait la ville à l’extrémité ouest du lac Ontario. Aujourd’hui, cette avenue constitue le trait d’union entre les quartiers populaires – dont Chinatown – et quelques repères culturels fameux en Ontario, comme l’AGO (Art Gallery of Ontario).
Du quartier chinois vers les gratte-ciel du centre-ville, au croisement des rues Dundas et Beverley, une gigantesque affiche – «Creativity lives here», lit-on – démarque un bâtiment à la façade arrondie habillée de verre. La seule oeuvre conçue par Frank Gehry au Canada.
Une grande affection lie l’architecte à Toronto où il est né et où, enfant, il accompagnait sa grand-mère pour visiter l’Art Gallery of Toronto (l’ancien AGO) et les autres établissements culturels de renom sur Dundas Street. Les siens habitaient dans un quartier populaire à grande concentration d’immigrés mais qui se trouvait à à peine 200 mètres du musée. Voila un Frank Gehry qui a donc arpenté maintes fois les rues avoisinantes et connait par coeur la morphologie des lieux comme nul autre architecte ne le saura jamais.
Aujourd’hui, l’architecte raconte que les découvertes faites lors de son enfance dans la métropole canadienne ont eu une grande influence sur son intérêt pour la peinture et la sculpture. La griffe de Frank Gehry, telle qu’on la connaît, pourrait-elle avoir ses prémices à Toronto ? Il est permis de le penser.
En 1900, le premier musée d’art d’Ontario a été installé dans ‘The Grange’, un ancien manoir géorgien datant de 1817. En 1918, les architectes Pearson & Darling ont quasi démoli l’édifice et, par ce geste, accompli la première de ses six expansions.
C’est en 2008, après un an de négociation, que Frank Gehry a gagné le septième agrandissement d’un musée à nouveau exigu – pourtant le dixième plus important musée du continent américain – en regard du don de 2.000 pièces légué au gouvernement par Kenneth Thomson, l’homme le plus riche du Canada.
Le projet consistait à augmenter la surface de l’AGO de 40%, et ce à downtown Toronto. Une commande de taille, qui a fini par coûter la coquette somme de 276 millions de CAD (dollar canadien).
Outre le prestige conféré à la signature de Frank Gehry, la ville de Toronto avait-elle d’autres raisons expliquant son choix ? Toujours est-il que l’architecte, qui a quitté la ville canadienne à 18 ans pour s’installer définitivement avec ses parents à Los Angeles, a fait, via ce projet, un retour triomphant et apprécié*.
Malgré les diverses constructions extravagantes et fantaisistes de Frank Gehry dans le monde, la dernière extension de l’AGO se révèle d’une frappante discrétion. Matthew Teitelbaum, le directeur général du musée, avait déclaré, au début des travaux, que le projet privilégiait la fonction à la forme. Alors que Toronto cherche à attirer les touristes via ses constructions neuves et mise sur quelques clichés (comme les musées) susceptibles d’amener le grand public, l’architecture de l’AGO privilégie les visiteurs réguliers. Un challenge que Frank Gehry a brillamment relevé et qui en dit long de l’intérêt des habitants de Toronto pour leurs musées.
L’intérieur dévoile un savoir-faire architectural qui, tout en respectant l’esprit du lieu, ajoute une touche inédite à l’ensemble. Tandis qu’à l’Est sont réunis le théâtre, la grande librairie et le restaurant, le coeur du musée (la cour historique) a subi une restauration minutieuse avec l’ajout d’un escalier à l’aspect labyrinthique qui perce la verrière pour accéder à la terrasse extérieure.
L’escalier en question, parfaitement signé par l’architecte, est devenu une curiosité à part entière. Les agents de sécurité précisent que seulement quatre photos sont permises à l’intérieur de l’édifice. De ce fait, l’escalier monumental, pièce maîtresse du musée, est un lieu couru pour qui souhaite l’immortaliser en photo.
Une fois à l’intérieur, l’autre curiosité du lieu est la Galleria Italia qui occupe le côté nord-est du musée et donne sur la rue Dundas et ses différentes maisons d’époque. La galerie se trouve au niveau du deuxième étage et, semblable au ventre d’un navire, est constituée de nervures en bois tandis que le verre procure à l’ensemble une grande luminosité.
Avec les conceptions de Frank Gehry, les gens ont l’habitude d’admirer le métal comme l’un des principaux matériaux utilisés. Ici, à Toronto, le visiteur découvre le bois et sa maniabilité. Dans cette fantaisie architectonique, d’aucuns peuvent trouver un rapprochement entre les formes fluides de l’AGO et celles de l’architecture d’Alvar Aalto, avec laquelle l’architecte dit avoir une grande affinité.
Finalement, le musée Art Gallery of Ontario n’est pas un bâtiment complexe propre à caractériser le génie de Frank Gehry, c’est un superbe manifeste situé au juste carrefour entre nostalgie et renouveau.
Sipane Hoh
* Le critique d’architecture natif de Toronto, Christopher Hume : «to put it simply, Gehry’s revamped AGO is a masterpiece, but just as important, it is the easiest, most effortless and relaxed architectural masterpiece this city has seen».
Le critique d’architecture du New-York Times, Nicolai Ouroussoff : «its interiors underscore one of the most underrated dimensions of mr. Gehry’s immense talent : a supple feel for context and an ability to balance exuberance with delicious moments of restraint».
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N.B. Cet article est paru en première publication dans le courrier de l’architecte le 05/09/2012.