A Erevan, Noé (se) retourne dans son Arche

A Erevan, Noé (se) retourne dans son Arche

02-DR

Dans un article publié le 3 février 2012 dans le journal arménien Hraparak, la journaliste Sona Atamyan présente le projet ‘Noyan Tapan’ – en français ‘Arche de Noé’ -, dont la construction est prévue d’ici 2014 face au mont Ararat, à Erevan. Un bâtiment iconique, ‘éducatif’ selon les uns, ‘scandaleux’ selon les autres, visant à augmenter l’afflux touristique au sein de la capitale arménienne.

ArménieErevan |

Contexte
Reconstruire l’Arche de Noé en taille réelle pour abriter un musée et un restaurant de luxe destiné aux dîners présidentiels ? L’idée, aussi utopique soit-elle en apparence, est sérieuse.
De fait, le Conseil constitutionnel de la capitale arménienne Erevan a récemment voté un tel projet, intitulé ‘Noyan Tapan’ (Arche de Noé) et promis sa réalisation dans l’un des grands parcs de la ville, face au mont Ararat.
En Arménie, le mythe du déluge et du navire salvateur fait partie de la mémoire collective. Selon les fondamentalistes bibliques, l’Arche a fini par s’échouer dans la région du mont Ararat. D’où l’emplacement du projet, lequel a semé la discorde entre différentes institutions arméniennes.
Aux thuriféraires qui soulignent l’aspect historique du projet, les détracteurs crient au scandale et au kitsch. Selon ces derniers, l’argument touristique n’est pas suffisant pour pallier aux conséquences de la crise financière.
Après moult débats, le dernier Conseil constitutionnel a finalement rendu son verdict : l’Arche de Noé sera construite d’ici deux ans à Erevan.
SH

DONNONS-NOUS UN DINER PRESIDENTIEL SUR ‘L’ARCHE DE NOE’ ?
Sona Atamyan | Hraparak

EREVAN – Nous avions déjà évoqué et longuement débattu le projet qu’un groupe de fonctionnaires souhaite implanter dans le parc ‘Haghtanag’ (Victoire). Appelé ‘Noyan Tapan’ (Arche de Noé), ce bâtiment, pour l’instant à l’état de proposition, comprend un vaste complexe éducatif.

Lors de la réunion du Conseil constitutionnel organisée hier [le 2 février 2012, ndlr], Martoun Haroutounyan, le représentant de la société ‘Armaré’ et responsable du projet qui en est aussi l’architecte principal, a présenté les plans de cette Arche du XXIe siècle. Il a précisé que le premier étage est composé d’un musée présentant l »équipage’ de l’Arche de Noé, dont huit êtres humains et cent-vingt animaux.

Egalement consacré au musée, le deuxième étage du bâtiment est surplombé par un hôtel alors que le quatrième étage est destiné à devenir une salle consacrée aux réceptions organisées par l’Etat. Enfin, le pont supérieur accueillera un restaurant offrant une vue panoramique sur le paysage. De nuit, l’architecte a prévu de projeter des images du mont Ararat sur les façades de ‘l’Arche’.

Malgré leur feu vert quant au concept du projet, les membres du Conseil constitutionnel ont émis des réserves. Selon Paravon Mirzoyan, le directeur général du théâtre national, l’Etat a d’autres priorités. «Il existe des gens qui vivent dans des wagons, d’autres qui n’ont pas les moyens d’acheter du pain. Ecoutez, nous avons d’autres problèmes, pourquoi dépenser tant d’argent ? Pour qu’un Américain vienne voir l’Arche de Noé ayant atterri au pied du Mont Ararat ? Ce n’est pas le moment, nous n’avons pas besoin d’un tel projet aujourd’hui».

01-DR

Suite à ces propos, au tour de Meroujan Der-Kalousdyan, un autre conseiller, d’intervenir : «L’Etat ne peut pas remédier à toutes les difficultés que nous rencontrons, nous le savons tous. En l’occurrence, il s’agit de savoir à quel usage est destiné ce projet. Le reste est du domaine des investissements privés qui n’ont pas pour enjeu la construction d’hôpitaux ou de routes. Ne mélangeons pas tout».

Un autre conseiller, Sdepan Tavtyan, a pour sa part souligné l’assurance que l’Arche de Noé, quoique confiée à un investisseur privé, ne devrait pas s’éloigner de son rôle éducatif. «Nous n’aurons pas juste un restaurant à la place du projet», s’est-il amusé.

Par la suite, le photographe et journaliste Lévon Ladjigyan a souligné que la capitale arménienne Erevan étant asphyxiée par l’accumulation de constructions, l’air pur devenait rare et les espaces verts inexistants. «Si l’objectif est de faire progresser le tourisme, pourquoi ne pas construire en dehors de la ville, le long d’une route touristique déjà fréquentée ?».

La réponse à cette question n’a pas tardé, Meroujan Der-Kalousdyan évoquant l’une des artères principales sortant de la ville et appréciée par les touristes. «Imaginez les chefs d’états en visite à Erevan allant déjeuner à l’Arche de Noé ; amusant, non ? L’Arche de Noé fait partie de l’histoire de ce pays. Racontons-là aux jeunes», a-t-il dit.

Au tour du sculpteur Levon Tokmakjian de prendre la parole, se focalisant sur le choix du lieu d’implantation du projet.

Il fut ensuite notamment question, sur un ton mi-figue mi-raisin, de la salle présidentielle prévue au troisième étage du musée et à laquelle le commun des mortels n’aurait pas accès. La problématique resta sans réponse.

De ces discussions est ressortie l’importance du ‘soutien moral’ pour l’avancée de ce projet, c’est-à-dire l’adhésion de l’opinion publique. Dans la mesure où les investissements, privés, sont déjà tous trouvés, le problème ne se pose in fine qu’à moitié. Reste simplement à convaincre la population d’une idée dont elle connait déjà l’histoire. D’autant plus qu’aucun arbre du parc où sera érigée l’Arche ne sera coupé, que la durée de réalisation n’excèdera pas deux ans et que les vingt millions de dollars nécessaires à la mise en oeuvre seront d’emblée débloqués par la société responsable du projet.

Bref, si les désaccords furent nombreux lors de cette réunion du Conseil constitutionnel, rien n’a empêché ses membres de voter en faveur de la réalisation de l’Arche de Noé.

Sona Atamyan | Hraparak | Arménie
03-02-2012
Adapté par : Sipane Hoh

N.B. Cet article est paru en première publication sur le courrier de l’architecte le 16 mai 2012.