Une gifle de 25 ou 50 étages

Une gifle de 25 ou 50 étages

@AryanShahabian

Le 18 novembre 2011, la journaliste Anna Zakarian rapporte dans les colonnes du quotidien The Armenian Times (Հայկական ժամանակ) la violente polémique qui se développe à Erevan, la capitale de l’Arménie, autour du projet supposé d’une société iranienne de construire une tour de 50 étages en plein centre historique de la ville. Sur fond de rumeurs plus inquiétantes les unes que les autres.

Arménie | Erevan | Gratte-ciel

Contexte
Bien que ces dernières années la capitale arménienne Erevan ait connu bon nombre de nouvelles constructions, notamment dans ses quartiers nord, l’arrivée de Persia Tower ressuscite une vive polémique sur la conservation de l’architecture historique du coeur de la ville.
Une tour de 50 étages à usage mixte pourrait en effet s’implanter à proximité immédiate de plusieurs emblèmes d’Erevan, ombrager quelques ruelles adjacentes et, surtout, chambouler par sa hauteur la physionomie du centre-ville.
La révolte est générale puisqu’elle est menée aussi bien par des habitants que par la plupart des architectes, urbanistes et spécialistes de l’aménagement. Et ce, d’autant plus que la hauteur annoncée ne correspond pas à celle des plans déposés lors de la demande de permis de construire.
A travers cette tour, réalisée pour le compte d’une société iranienne, c’est la volonté hégémonique de l’Iran voisin qui inquiète et alimente les discussions.
SH

UNE GIFLE DE 25 OU 50 ETAGES
Anna Zakarian (Աննա Զախարյան) | The Armenian Times (Հայկական ժամանակ)

EREVAN – A croire que la communauté arménienne détient une nouvelle opportunité d’une critique acerbe et d’un houleux débat. Il s’agit ici d’une construction laide qui bientôt, à côté du cinéma historique – le Moscou Cinéma -, d’un hôtel prestigieux – Le Golden Tulip – et à la place même du bâtiment de l’union des artistes arméniens, viendra s’emparer du coeur de la capitale Erevan.

Dans notre numéro d’hier [le 17 novembre 2011 ndlr], nous écrivions que, selon nos informations, cette nouvelle tour – qui comptera 50 étages – deviendra le plus haut bâtiment de notre capitale. Elle comprendra une partie commerciale, une autre consacrée aux logements et un hôtel. La Persia Tower (Պերսիա թաուեր) se positionnera de telle sorte que l’entrée se fera à partir de la rue Toumanian. L’architecture de l’immeuble a été conçue par une société iranienne et le chantier sera supervisé par la société Didas International.

(@SerougOurishian)

Nous ne pouvons pas le permettre

Le terrain prévu pour accueillir ce gratte-ciel appartenait à l’Union des artistes d’Arménie. Garen Aghamyan, son président, nous a déclaré hier que l’Union n’est pas seulement victime de cet acte de privatisation de ses locaux mais qu’il s’agit là, selon lui, de la première boucle d’une chaîne d’actions illicites.

Il assure ainsi que, depuis son élection en tant que président de l’Union, il a tenté maintes fois de protéger les biens de l’association mais que tous ses efforts ont été vains.

«Quand les rumeurs de la construction d’un immeuble de 40 étages me sont parvenues, les bras m’en sont tombés, je n’arrivais pas à y croire», dit-il. «Après, d’autres rumeurs ont annoncé moins de 40 étages. Mais j’avais déjà vu avec mes propres yeux les plans de cet immeuble de 40 étages. Quand j’ai déclaré qu’il était impossible de construire un immeuble aussi haut en plein coeur de la ville, à cause de l’étroitesse des rues de ce secteur ainsi que pour la protection des immeubles avoisinants, l’un des propriétaires m’a répondu cyniquement que ma façon de penser était arriérée».

Montrant les autres immeubles de la rue Toumanian, il assure que tous devront in fine être éradiqués. Si c’est le cas, cela finira par toucher le fameux cinéma tandis que d’autres bâtiments historiques seront à leur tour reconvertis voire même relookés. «Si un tel bâtiment est construit dans le centre, ce serait pour nous comme une gifle parce qu’un tel agissement signifierait que l’Iran, pour y implanter sa plus haute tour, considère ces terres comme les siennes. D’autre part, c’est une attaque contre notre architecture qui devra s’effacer pour faire place à une autre. On ne peut pas tolérer ces actes, cette extravagance doit être éliminée», déclare le président de l’Union des artistes.

Megerditch Minassian, le président de l’Union des architectes arméniens, estime également qu’un projet de cette ampleur est insoutenable en ce lieu. «Déjà que nous ne tolérons pas de bâtiments d’une telle hauteur dans notre capitale, ce corps est complètement étranger à l’architecture de notre ville», dit-il. Il ajoute que si nous restons tous indifférents, les Iraniens seront capables d’ériger plusieurs gratte-ciel en anéantissant toute la ville. Il exprime ainsi, avec conviction, son opposition à toute construction de ces tours.

(@ArturIskenderian)

Rien n’est positif

Megerditch Minassian assure en avoir discuté avec Nareg Sarksian – l’architecte en chef de la ville d’Erevan – et avoir notamment demandé à connaître la probabilité que cette société obtienne gain de cause pour la construction de cette tour. Selon lui, la réponse fût la suivante : «Je ne suis pas pour qu’un tel immeuble soit construit sans concertation. En 2009, selon mes informations, parce qu’à l’époque je n’occupais pas encore ce poste à la municipalité, le permis de construire prévoyait, lors de son dépôt, une tour 25 étages. Depuis 2011, le délai de validité de ce permis est dépassé ; pour relancer ce projet, il aurait suffit de le prolonger, chose qui n’a pas encore été faite à ce jour. C’est pourquoi nous demandons désormais, avant toute prolongation, de voir les plans et de mener une enquête publique qui donnera son avis. La hauteur de 30, 40 ou 50 étages pour moi est non envisageable tout simplement. Mais un immeuble de 25 étages, tel qu’il était prévu au début, serait selon moi un sujet qui mérite discussion au sein du conseil [municipal]. Des spécialistes font valoir le rôle qu’un tel bâtiment pourrait jouer dans le cadre du développement urbain de la ville. Personnellement, je ne suis pas d’accord avec cet argument. De plus, je crois qu’il faut également demander l’avis des ingénieurs de la planification urbaine tandis que les urbanistes auront également leur mot à dire».

Le sujet en ce cas ne serait pas pour ou contre la tour mais plutôt quelle doit être sa hauteur.

Quant à la destruction d’immeubles avoisinants, rien ne la laisse présager à ce jour. Pour le moment, il faut donc supposer que c’est une tour de 25 étages qui elle sera bel et bien construite.

Anna Zakarian | The Armenian Times | Arménie
18-11-2011
Adapté par : Sipane Hoh

photo 1: © Aryan Shahabian

photo 2: © Seroug Ourishian

photo 3: © Arthur Iskenderian

N.B. Cet article est paru en première publication sur le courrier de l’architecte le 22 février 2012.