Beyrouth, un urbanisme de tours qui n’a rien d’historique

Beyrouth, un urbanisme de tours qui n’a rien d’historique

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Dans une tribune publiée le 7 juillet 2012 dans les colonnes du quotidien libanais As-Safir, l’architecte Mazen Haydar pointe la décrépitude des constructions historiques de Beyrouth et la prévalence simultanée d’une architecture standardisée, sans âme et commercialement rentable. Dans une ville qui ne cesse de se reconstruire, est-ce vraiment dommageable?

Beyrouth

Contexte
Après une guerre civile de près de vingt-cinq ans, à l’heure d’une paix fragile, faut-il s’étonner qu’un plan local d’urbanisme donne libre cours à la hauteur dans certains quartiers du centre de la ville ?
C’est le cas à Beyrouth, où les promoteurs remplacent sans cesse l’architecture prestigieuse d’époque par une autre beaucoup plus haute et, de fait, financièrement alléchante. Dernièrement, des tragédies provoquées par l’effondrement de fondations mal entretenues ayant causé la perte de vies humaines sont devenues prétexte à se défaire de quelques anciennes demeures classées.
Toujours est-il qu’aujourd’hui, l’architecture de Beyrouth se trouve tiraillée entre deux tendances : la préservation d’un patrimoine en péril et l’édification d’une modernité proclamée.
SH

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LE PATRIMOINE ARCHITECTURAL DE BEYROUTH ET L’ABOLITION DE LA MEMOIRE
Mazen Haydar | As-Safir

BEYROUTH – A chaque fois que nous évoquons le patrimoine architectural au Liban et la sauvegarde de ce qu’il en reste, nous acquérons, vis-à-vis des autorités, le statut de quémandeurs. Pour plaider notre cause, il convient de rappeler que l’une des tâches les plus simples des institutions serait de protéger le patrimoine de toute démolition, de le faire connaître de tous les citoyens et, pourquoi pas, de le mettre en valeur et l’inclure dans les programmes scolaires.

Après les années de guerre intense, quelques intéressés spécialistes d’architecture ont poussé à la destruction de notre patrimoine, alors même que la guerre civile a épargné une partie conséquente des immeubles appartenant à l’époque ottomane ainsi que de nombreux édifices érigés pendant le mandat français. De même pour les quelques témoignages de l’époque moderne.

Une fois la guerre terminée, une autre guerre, celle de la rentabilité, a pris place. Depuis, durant notamment les premières années de paix, nous avons perdu une quantité importante de notre héritage architectural. Non que ce dernier ne fut perçu comme un nouveau secteur d’investissement pouvant ramener les touristes vers notre pays mais parce que le rapport financier d’une reconstitution ou d’une réhabilitation est peu satisfaisant.

La destruction délibérée est une scène courante à Beyrouth. Détruire l’ancien et faire du neuf est ancré dans les esprits. Combien sont les habitants de la ville qui se souviennent des anciennes rues et de leur architecture ? Combien parmi ceux-là attachent ce souvenir avec les monuments connus d’autrefois ? Combien sont-ils d’imaginer que la destruction n’est pas une fin en soi et qu’il existe d’autres alternatives comme la réhabilitation de leurs demeures ?

Plusieurs anciens palais ont été détruits non seulement à cause de la guerre mais intentionnellement, pour des raisons purement financières. Ainsi du palais d’Achoura, démoli en 2011. La liste est longue. Si certaines résidences n’ont pas subi une destruction complète, les constructions avoisinantes ont entrainé l’endommagement d’une grande partie de leurs fondations.

De plus, dans nombre de bâtiments historiques, le vandalisme est marqué. Nombreux sont les destructeurs qui sont rentrés illégalement pour arracher quelques fenêtres par-ci, détruire d’autres moulures par-là, ce qui a rendu les édifices encore plus vulnérables. Plus ces immeubles sont en ruines plus leur destruction semble justifiée. Avenir promis aux bâtiments classés de la dernière liste de 1998 ? Des propriétaires étaient pourtant prêts à tout pour «libérer» leurs biens de toute destruction possible et imaginable.

Au Liban, aucune loi ne limite à Beyrouth la hauteur maximale de la ville.

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Punition

Ainsi, la classification et la préservation de l’architecture traditionnelle au Liban tombe sur le propriétaire du bien comme une punition. Pour certains d’entre eux, le préjudice est double puisqu’ils ne peuvent pas matériellement donner une nouvelle vie à ces bâtiments. D’où la mise en vente de la plupart de ces trésors historiques pour des raisons financières.

La plupart des acheteurs sont des investisseurs qui préfèrent démolir ces biens en mauvais état pour tirer davantage d’une construction neuve. En conséquence, Beyrouth perd des joyaux, gardés parfois de génération en génération, dont les héritiers finissent par céder à l’appât du gain. Construire des tours est devenu beaucoup plus rentable que de garder une ancienne maison, aussi prestigieuse soit-elle.

N’oublions pas que la valeur patrimoniale d’un édifice n’est pas seulement dans ses caractéristiques architecturales et historiques mais aussi dans le dialogue avec l’environnement urbain qui l’entoure. Si on ampute ce dernier de ses quelques éléments fondateurs, les autres édifices alentours deviendront fades et perdront de leur valeur, aussi séduisants soient-ils.

C’est ce qui est arrivé à l’une des rues de Beyrouth où, au nom de la nouvelle architecture, on a détruit des immeubles datant des années cinquante qui complétaient agréablement le tissu historique du quartier. Résultat : on se retrouve avec un bâtiment classé par-ci, un autre par-là sans une vraie harmonie ni lien entre eux.

Ce que nous proposons ici n’est pas la limitation de cette vague de ventes massives, surtout dans les quartiers de Zarif et de Kantari ou bien de Mar Maroun ou d’Achrafieh, mais de mettre ces bâtiments sous contrôle permanent, ne serait-ce que ceux dont les habitants ont déjà signalé du vandalisme près de l’association ‘Sauvez Beyrouth’.

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La démolition accélérée

Après la catastrophe de ‘Fassouh’, où un ancien immeuble a causé la mort de plusieurs citoyens, la question de la sécurité autour des monuments historiques a été largement débattue à Beyrouth.

On craignait une décision imminente pour une démolition accélérée de quelques anciennes bâtisses de grande valeur patrimoniale, chose qui malheureusement n’a pas tardé à venir : trois bâtiments historiques qui se trouvaient dans le quartier de Hamra ont subi un sort dramatique, une destruction complète pour des raisons de sécurité. Dans certains cas, une restauration pourrait suppléer à l’amputation.

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L’actuelle tentative d’abattre les derniers éléments qui nous restent du tissu architectonique de certains quartiers de Beyrouth n’est que négation de son histoire. Il faut sauver le restant du patrimoine architectural avant qu’il ne soit trop tard.

En effet, demeurent aujourd’hui quelques quartiers au tissu urbain mis en danger par un «rêve de tours», lequel menace l’équilibre esthétique de la ville.

Mazen Haydar | As-Safir | Liban
07-07-2012
Adapté par : Sipane Hoh

Les photos : © Sipane Hoh

N.B. Cet article est paru en première publication dans le courrier de l’architecte le 21 novembre 2012.

4 commentaires

  1. C’est vraiment ce qui m’avait marqué lors de mon séjour à Beyrouth : le choc architectural ! Je ne sais pas si tu avais vu mon billet, mais il y a énormément de tours (terminées ou en construction). C’est étonnant !

    1. Si, si, j’avais vu ton billet. Il faut dire qu’à Beyrouth les tours sont plus rentable que les bâtiments plus bas et comme dans certaines zones, il n’y a pas de stricte limite de PLU, les promoteurs profitent de cette faille.
      Sans parler que les appartements dans les tours sont luxueuses et les gratte-ciel ne sont pas toujours décriés comme ailleurs.

    1. C’est un peu comme le vrai touriste qui débarque à Paris, il va voir en premier l’île de la cité, Montmartre et les Champs bien avant d’aller à PRG (Paris Rive-Gauche) ou carrément à La Défense.

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