Las Arenas de Barcelona, d’un symbole l’autre

Las Arenas de Barcelona, d’un symbole l’autre

Las Arenas

Emblème historique, architecture caractéristique, structure authentique, esprit et financement contemporains, renaissance d’un lieu touristique… L’intelligente reconversion de Las Arenas à Barcelone saura-t-elle donner un nouveau souffle à la Place d’Espagne ? Et un coup de fouet – un dribble – à l’architecture patrimoniale ? Pourquoi pas ?

Barcelone | Reconversion

C’était l’un des symboles de Barcelone. Située place d’Espagne (plaça d’España), la porte ouest de la ville, cette arène de style hispano-musulman, inaugurée en 1900, est le lieu d’une impressionnante réhabilitation inaugurée en mars 2011.

Federico García Lorca* dit un jour : «En Espagne, la seule chose qui commence à l’heure, c’est la corrida». Aujourd’hui, plus d’heure fixe, le flot humain y déambule en permanence et à tout moment de la journée. Ce lieu autrefois idolâtré, quand 15.000 spectateurs se pressaient sur ses gradins pour assister aux corridas, était délaissé depuis une décennie au moins.

Ses 2.827.600 briques de terre cuite réparties autour d’une piste de 52 mètres de diamètre se dégradaient au fil des ans. L’arène fut même un temps convertie en caserne. L’apparence générale du bâtiment en souffrait. Pourtant, aujourd’hui, Las Arenas est apparemment redevenu un lieu foisonnant quand l’architecture garde pourtant son charme d’autrefois.

C’est l’agence Rogers Stirk Harbour + Partners qui a inséré ce centre commercial dans le corps même des arènes dont la façade extérieure demeure. Le concept entend préserver le patrimoine architectural du pays et participer à la revalorisation d’un quartier devenu désuet. Si le façadisme n’est pas nouveau, mettre un dôme de 27 mètres de haut sur ces arènes était un pari osé.

En chiffres : 104.576m², 126 magasins dont un hypermarché, 8 restaurants, 12 salles de cinéma, 1.700 places de parking répartis sur quatre sous-sols, un spa-centre de beauté.

Las Arenas

De la terrasse panoramique, la vue à 360° sur la ville est offerte ; cerise sur la coupole, un parcours circulaire de jogging : un km en trois tours. Sur ce toit, les restaurants sont déjà une attraction commerciale et touristique. Dans le corps de Las Arenas, les grandes marques internationales sont toutes présentes. Sans parler de l’insolite musée du rock, unique en Europe, qui s’invite dans le bâtiment. Les visiteurs sont de divers horizons.

Le projet a cependant connu de nombreuses difficultés. Huit années ont séparé le début des travaux de la date d’ouverture au public. La crise qui a balayé le pays est l’une des causes du retard. En effet, des désaccords entre l’architecte Richard Rogers et l’agence espagnole d’Alonso Balaguer (le co-architecte du projet) se sont fait jour. Outre les difficultés économiques, la mésentente des deux architectes sur la gestion de la structure portante de l’arène a été maintes fois évoquée.

Finalement, malgré le contexte économique défavorable et le retard accumulé, l’exploit structurel est là ainsi que la préservation d’un témoin majeur du patrimoine architectural barcelonais.

Un grand succès ? Selon ses propriétaires, Las Arenas attend de recevoir dix millions de visiteurs au cours des douze premiers mois d’activité. L’opération a coûté 200 millions d’euros, un investissement conséquent dans ce secteur concurrentiel.

Las Arenas

En fin de compte, un centre commercial, même griffé par une firme architecturale de stature mondiale, reste un centre commercial. La question demeure de l’utilité d’un tel projet dans une ville qui possède déjà plusieurs grands centres commerciaux. Certes, ni aussi emblématiques ni autant choyés et médiatisés.

Le fait est que l’arène, autrefois symbole de fierté, semble avoir cédé le pas à des préoccupations plus contemporaines.

Toujours est-il cependant que le quartier de Las Arenas, depuis l’exposition universelle de 1929, n’avait connu aucun changement majeur. Cette transformation apparaît donc comme une renaissance à part entière dont bénéficient d’ailleurs les édifices environnants.

«Si l’architecture ne s’inspire pas de la vie et des exigences des hommes, elle perdra de sa spontanéité, de sa capacité d’animation et de sa fraîcheur. Elle ombrera au niveau du simple raisonnement stérile et cessera d’être un art», expliquait Otto Wagner** en 1895.

Las Arenas comme réponse aux exigences de son époque ?

Sans doute plus que jamais.

Sipane Hoh

* Federico García Lorca est un poète et dramaturge espagnol
** Otto Koloman Wagner (1841-1918) est un architecte autrichien de la Belle époque. A Vienne, ses bâtiments art nouveau lui ont forgé une renommée internationale.

Les photos : © Sipane Hoh

N.B. Cet article est paru en première publication dans le courrier de l’architecte le 8 juin 2011.