Rome, une ville «normale» en 7500 après Jésus-Christ ?

Rome, une ville «normale» en 7500 après Jésus-Christ ?

@JPHH

Rome ville éternelle ? Dans un article paru le 5 juillet 2011 dans les colonnes d’Artribune Magazine, le journaliste romain Massimiliano Tonelli dément l’adage, avec ironie. Il demeure que, lors des deux dernières décades, la ville s’est plus transformée qu’au cours des deux derniers siècles. Promenade à la découverte de la Rome du futur. Attention aux nids-de-poule !

Italie  | Culture | Rome

Contexte
Après avoir été – et pendant longtemps – une ville endormie, Rome connaît depuis quelques années une impressionnante transformation, des griffes internationales d’architecture rivalisant pour y réaliser des projets de grande envergure. Que ce soit dans son centre historique ou sa banlieue en passant par ses quartiers défavorisés, tout semble chamboulé.
Aujourd’hui, visiter Rome ne s’arrête plus aux grands classiques qui ont fait sa renommée puisque le voyage permet la découverte de nouvelles architectures qui constituent déjà la ville du futur.
Laissons-nous embarquer dans cette aventure et découvrons l’autre visage de cette grande cité.
SH

L’ARCHITECTURE DE DEMAIN (DISONS D’APRES-DEMAIN)
Massimiliano Tonelli | Artribune Magazine

ROME – Il est une ville en Europe où, aujourd’hui, en même temps, naissent des projets variés signés par Renzo Piano, Santiago Calatrava, Rem Koolhaas, 5+1AA (Alfonso Femia Gianluca Peluffo), Massimiliano Fuksas, Paolo Desideri, Franco Purini, Studio Transit et bien d’autres. Il s’agit de Rome.

En ces quelques paragraphes, nous allons nous glisser dans la peau d’un lecteur-touriste qui quitte la fontaine de Trevi et part pour un petit circuit afin de regarder et découvrir en avant-première la ville que sera Rome.

La rhétorique de la ville éternelle et l’adage selon lequel Rome ne s’est pas construite en un jour ont toujours été instrumentalisés pour tout ce qui concerne le développement urbain et l’architecture de la ville. Eternels, pour tout dire, les sites l’ont toujours été dès qu’il s’agissait d’éliminer ces nids-de-poule mortels sur les routes (les coûts sociaux des accidents sur les routes l’ont montré).

@pmorgan67

En réalité, ces sites sont loin d’être éternels dès qu’il s’agit par exemple de construire un réseau de métro digne de ce nom. La construction de la ligne A du métro de Rome a pris douze ans, de 1964 jusqu’à 1980 (sic). La ligne B, qui était principalement utilisée pour relier l’EUR à la station Termini, a été achevée en 1990 ; elle fonctionne correctement mais il faudrait peut-être l’allonger de quelques kilomètres de plus. Le projet existe mais nous nous disputons sur sa durée de vie. La ligne C, dont la construction a débuté en 2007, sera «probablement» opérationnelle en 2018. Un «probablement» considéré comme étant très optimiste. En somme, en ce qui concerne le transport ferroviaire, à ce rythme, la ville sera devenue «normale» autour de 7500 après Jésus-Christ.

Il va falloir se résigner. Ou pas. Parce que, si l’on regarde vingt ans en arrière, nous étions soumis à une subdivision totale, non seulement pour l’infrastructure mais aussi pour tout ce qui concerne le design, l’architecture et l’urbanisme entier de la capitale italienne. A partir des années 50, rien de neuf ne s’est construit (à l’exclusion des palaces obscènes que Rome a donné à ses oeuvres sociales) et personne ne semblait se préoccuper du sujet.

A la fin des années 90, nous avons repris timidement une nouvelle planification, ce qui nous permet d’offrir aujourd’hui une promenade à travers les chantiers. Ce qui ne veut pas dire que cela ressemble à Shanghai, Dubaï ou à Berlin après la chute du mur, mais indique que la perception que Rome donne d’elle-même pourrait changer.

Sans même parler des projets achevés comme l’auditorium de Renzo Piano ou le MAXXI de Zaha Hadid et ce que pareils projets contribuent à l’aura de la ville. Avec eux, le nombre de publicités de voyagistes augmentent et les gens recommencent à visiter Rome. En guise de quoi, les données sont claires : plus on édifie de nouveaux projets architecturaux, plus on attire du monde. C’est un vrai défi.

@SimoneArtibani

Nous ne parlerons pas ici des réalisations livrées mais nous allons essayer de faire une promenade rapide à travers ce qui est en cours de construction. Work-in-progress-aholic [en anglais dans le texte] que nous sommes, nous allons visiter l’extraordinaire site de la nouvelle station de Tiburtina signée Paolo Desideri. Le tour pourrait commencer à partir d’ici. Et de cet énorme pont suspendu, entre deux quartiers, qui avait la difficile tâche de recoudre ‘urbanistiquement’ ces deux entités distinctes.

A l’intérieur, les modules des guichets, boutiques et restaurants sont encore en suspension. Ces flèches rouges qui joignent Salerno à Torino sans ni entrer ni sortir de ce beau tourbillon du Termini flottent sur le corps de la station. La station Tiburtina en construction mérite un voyage pour l’imposante balistique et le projet d’ingénierie qu’elle propose. Il faut considérer que ce que vous voyez n’est qu’une partie puisque, de l’autre côté, le projet implique le déplacement complet de la tangentielle Est qui n’est autre que l’artère essentielle de la moitié de la ville. Même le joueur le plus passionné de SimCity n’arriverait pas à trouver un moyen pour y parvenir.

Continuons avec la ‘description’ du centre des congrès conçu par Massimiliano Fuksas. Il s’agit d’une proposition complexe qui commence à prendre forme, désormais connue de tous sous le surnom familier de «nuage de Fuksas» qui ouvrira la voie de demain. L’effet de la couche transparente, quand elle est frappée par le soleil, est saisissant et on perçoit alors toutes les dimensions du projet tandis qu’apparaît le fameux «nuage» suspendu. Un projet qui a fait parler de lui pendant dix ans et qui, finalement, ouvrira une nouvelle page au quartier de l’EUR.

Oui, parce que c’est précisément dans ce lieu que l’on peut rencontrer l’architecture contemporaine, c’est là où se trouvent la plupart des choses qui nous intéressent. C’est toute une transformation urbaine à suivre de près.

A cette zone succède celle de la Castellacio qui, écoutez bien et ouvrez grand les oreilles, voit naître les deux premiers gratte-ciel de la ville (après une centaine d’années de retard sur le reste du monde, mais nous ne sommes pas ici pour polémiquer). Le plus célèbre, appelé Eurosky et signé Franco Purini, se dressera (c’est une façon de parler) sur 120 mètres et son esthétique accaparera les discussions de plusieurs journaux d’architecture. Ce sera un gratte-ciel d’habitation.

L’autre gratte-ciel sera Torre Europarco, signé Studio Transit. Complètement vitré (à l’inverse de la première tour), il ne comprendra que des bureaux. Les deux soeurs participent déjà au changement du ‘skyline’ de la ville qui, depuis le XVIIIe siècle, n’a subi aucune métamorphose.

Allez par une belle matinée à la Pincio et contemplez la ville qui change. Nous sommes toujours à l’EUR où nous travaillons dur pour équiper Rome d’un aquarium. Rien d’intéressant du point de vue architectural mais un ouvrage qui, malgré tout, nous pousse à y faire un tour rapide. Un grand aquarium (cependant, pas plus grand que celui de Gênes) qui s’étend sous l’étang et qui attire des visiteurs. Cela écrit, puisque nous sommes à l’EUR, notons que l’élément le plus significatif est la restauration du palais de la civilisation italienne qui, en 2012, accueillera la plus grande exposition Made in Italy.

Pour revenir en ville, vous pouvez traverser le nouveau pont remarquable qui va connecter deux quartiers. A ses pieds, sur un site étendu et sans limite, entre les centres commerciaux, les gymnases, les grands espaces de restauration, un parking sans fin et un cinéma, se trouvent deux intéressants espaces dédiés à l’art. Tout ça, c’est le grand oeuvre de Rem Koolhaas. Un peu plus loin, l’un des scandales des années 90, la cathédrale moderne de Julio Lafuente, est finalement en restauration.

Maintenant, avant d’arriver à la fin de notre voyage à travers la future Rome, le quartier du MAXXI, où vous n’êtes pas sensés arriver par hasard. La zone s’appelle Tor Vergata et les terrains sont la propriété de la seconde université de Rome. Le projet n’est pas encore clair pour tout le monde mais le parc architectural qui émerge est à visiter.

Le plus grand morceau d’innovation (au sens où, si ça continue, ça va prendre plus de quatre-vingt dix ans pour terminer) est la cité des sports de Santiago Calatrava. Nul ne sait quand sera trouvé le financement pour continuer ce projet ; en attendant, on peut contempler l’une des deux coques qui protègent le Palais des sports, qui sera impressionnant. La perspective sera préférable ? Regardons comme il a changé le visage de ces anciens quartiers de l’est de la ville. La grande voile de l’architecte est devenue la plaque tournante de la banlieue Est de Rome.

@Caviola

A proximité, à quelques centaines de mètres, un projet avec moins d’impact, tout au moins de loin. Il s’agit d’un monolithe noir, lunaire, siège de l’Agence spatiale italienne signée 5+1AA. Ce site mérite vraiment une visite clandestine.

Terminons avec le projet baptisé ‘Parc des arts’, l’objectif étant de mettre de l’ordre dans les nombreuses «petites choses» qui se produisent entre la Villa Glori et le Foro Italico à Flaminio. Les émergences architecturales de la zone portent des noms comme MAXXI, l’auditorium, le stade Flaminio, le pont de la musique (ponte della musica).

Bien que le potentiel de transformation soit important, on trouve autour du Marco beaucoup de nouvelles galeries d’art alors que l’on ne trouve pas grand-chose autour du MAXXI. Si on réussit vraiment à transformer ces parcelles en hébergements, zones commerciales ou culturelles, avec des résidences pour des jeunes artistes – pourquoi pas un «foyer» pour le festival du film ? -, ce serait un défi majeur considéré comme gagnant. La conjonction MAXXI-Auditorium, qui permet de joindre en cinq minutes (à pied) deux pôles importants, dispose d’un grand potentiel.

Mais le parc des Arts est un projet de Renzo Piano et, comme il le dit lui-même, il est suffisant d’y travailler.

Massimiliano Tonelli | Artribune Magazine | Italie
05-07-2011
Adapté par : Sipane Hoh

N.B. Cet article est paru en première publication sur le courrier de l’architecte le 30 mai 2012.