L’Architecture en uniforme, le chapitre manquant

L’Architecture en uniforme, le chapitre manquant

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Après l’exposition consacrée à l’Art Déco, le programme 2014 de la Cité de l’Architecture continue son chemin avec cette fois-ci un sujet architecturalement inexploré où par ailleurs tous les acteurs sont non seulement célèbres mais largement médiatisés. Une exposition qui plonge le visiteur dans une époque ténébreuse et pourtant si connue.

25 avril 2014, dans les couloirs du métro parisien je contemple l’affiche de l’exposition « Architecture en uniforme » en m’apprêtant à monter les dernières marches qui mènent à la Cité de l’Architecture et du patrimoine, où, je dois visiter l’actuelle exposition avec son commissaire.

Tout le monde est à l’heure, une fois les présentations faites, Jean-Louis Cohen accompagne notre petit groupe au deuxième sous-sol. C’est ici que, l’éclairage artificiel aidant, commence notre voyage. A notre droite deux énormes photographies remplissent le mur, l’une représente les ruines de Guernica, l’autre celles d’Hiroshima, à notre gauche une multitude de portraits d’architectes, en petits formats, alignés tels des soldats. Une atmosphère pesante, le ton est donné, nous sommes dans l’œuvre même de Jean-Louis Cohen, quelque part entre 1939 et 1945, à nous le retour dans le temps pour explorer l’instant.

Cependant, une seconde de doute, que font ces noms d’architectes connus et adulés dans cette histoire sordide qu’est la guerre ? La réponse vient très vite, il suffit de suivre le fil du temps.

La visite avance, les étonnements sont nombreux et les surprises abondantes, je découvre les grandes figures d’architecture sous un angle différent, des propos que je n’avais jamais entendu jusque là ni lors de mes études architecturales ni plus tard. Quelle surprise ! A la Cité, Le Corbusier, qui a toujours eu une attitude pacifiste vis-à-vis de la guerre, ne détaille pas son « Plan Voisin », il n’a pas encore pensé « Chandigarh » mais présente en croquis la « Ville Radieuse » (en se basant sur les propos de Vauthier) comme une ville « défendue » capable de résister à la guerre aérienne et quelle consternation de le voir évoquer le terme d’ « usines vertes » pour les ouvriers alors que la guerre bat son plein et que se répand le travail forcé sous les régimes militaires.

Un peu plus loin, apprendre qu’Ernst Neufert, l’auteur du livre « Les éléments des projets de construction » l’équivalent de la bible pour les architectes et référence de tout professionnel, était l’un des complices d’Albert Speer dans la construction des camps de concentration, quel abattement !

Les exemples sont nombreux et les stupéfactions tout autant.

La guerre dure quelques années, les architectes sont aussi des humains qui travaillent, pensent et développent, passionnés par leur métier, ils contribuent activement à la reconstruction et adoptent le recyclage. L’après-guerre se caractérise par la recherche à qui certains architectes (comme Donald Douglas) accordent une place primordiale. Des programmes, organisés pour la préparation des urbanistes et permettent aux architectes de reprendre leurs études à distance, s’adoptent par certaines organisations comme l’Architectural Association à Londres. Les urbanistes sont recrutés pour analyser l’état des villes et proposer des solutions. Même si l’expérience aéronautique de temps de guerre a été utile plus tard dans la construction de maisons (comme la Wichita house de Buckminster Fuller) ou la mise en pratique de certains matériaux nouveaux, rien n’enlève à la barbarie de ce carnage.

Là aussi les références sont diverses et les architectes cette fois-ci sont montrés du doigt pour leurs pertinentes idées qui ont relancé la création dans les villes.

L’exposition se compose de plusieurs grandes parties de la mobilisation des architectes au début de la guerre jusqu’à l’occupation et la reconstruction, en passant par la menace aérienne, la tentation de l’invisible, les architectes et les bombes, la mobilité, la question de l’échelle et l’information ; tout est développé, dévoilé détaillé et pointé via des dessins, des maquettes, des photographies d’époques, des affiches, des plans, des croquis, des imprimés et des documents d’archives. Un étalage des plus intelligent et complet, des propos expliqués et commentés par un maître dans la matière, Jean-Louis Cohen, l’architecte et l’historien qui allie interprétations, théories et parfois même humour et ramène le visiteur vers la fin de l’exposition, là où la vie reprend ses droits, l’avenir se dessine et la mémoire s’estompe.

« Architecture en uniforme » est une passionnante immersion dans l’un des chapitres manquants des annales de l’architecture moderne.

D’autres photos se trouvent sur ma galerie publique: ici.

L’exposition a été créée par le centre canadien d’architecture où elle a été présentée pour la première fois, elle a été adaptée pour la cité de l’architecture et du patrimoine et sera plus tard présente au MAXXI de Rome.

« Architecture en uniforme » de Jean-Louis Cohen a reçu le Prix du livre de l’Académie d’Architecture 2012. Indispensable pour la bibliothèque de tout architecte.

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