De Dubaï à Obernai, copy or not copy ?

De Dubaï à Obernai, copy or not copy ?

Dubaï-Obernai

Construire est l’essence même de l’architecture. Quand cette dernière s’inspire à outrance du déjà réalisé, le maniérisme n’est pas loin. L’imitation en Chine ou à Dubaï ? Vraiment ? Au risque de desservir quelques symboliques du moment, voici l’architecture à la merci des slogans. Visitons-en l’essence ici, en France, en Alsace.

Monde

Mercredi 9 janvier 2008. Un protocole d’accord autour du projet urbain ‘Lyon-Dubaï City’ est signé entre la ville de Lyon – représentée par son maire – et le président de la société dubaïote Emivest. Un investissement colossal pour occuper une surface de 300 hectares au coeur de l’émirat. Le projet envisage la reconstruction à l’identique (pour ne pas citer le mot réplique) d’un quartier lyonnais sur le territoire des Emirats Arabes Unis. Une copie ? Non, «un coup de coeur», selon les investisseurs et une «excellente publicité» du côté lyonnais.

L’implantation d’institutions culturelles lyonnaises, telles l’université Lyon 2 et une école hôtelière signée Paul Bocuse ainsi qu’un centre de formation de l’Olympique Lyonnais constitueront les phares de cette nouvelle ville construite pièce par pièce. Une idée de génie qui contribuera au développement de Dubaï et stimulera le rayonnement de la ville de Lyon dans le golfe persique.

L’architecture, dans cette extraordinaire équation, est acclamée fièrement ; ce sera un condensé de reproduction du style architectural présent dans un quartier historique français. S’y retrouveront les rues piétonnes, les places publiques, les cafés et tout l’art de vivre de l’ancienne capitale des Gaules. Retour en arrière ? Visuellement oui, concrètement non parce que cette ville s’appellera ‘Lyon-Dubaï City’. Elle ne sera ni Lyon ni Dubaï mais une nouvelle ville hybride, conséquence d’une prospective qui concentre déjà bien des convoitises.

Cette innovante cité aurait dû être terminée en 2010 si l’on se fie aux différentes publicités de l’époque mais tout le monde sait que la crise est passée à Dubaï avant même d’arriver dans nos contrées. Il est question désormais d’un projet similaire pour 2017 ; même les rêves les plus fous ont besoin de temps et de financement pour se réaliser.

Dubaï-Obernai

Mercredi 25 avril 2012. Nous voici en France, en Alsace précisément. Ce jour-là, la foule se dirige vers un petit bourg nommé Roppenheim à l’occasion de l’inauguration d’un tout nouveau village des marques qui se trouve à 35km au nord de Strasbourg. Jusqu’ici rien d’extraordinaire sauf qu’il s’agit d’un village neuf construit en s’inspirant, selon ses instigateurs, de l’architecture alsacienne traditionnelle.

Dubaï n’a rien à nous envier, l’imagination française est assez riche. Une mini-ville entièrement dédiée au shopping au coeur du ried alsacien, avec toutes les caractéristiques d’un vrai village, du colombage aux toits pointus, un lac artificiel, etc. Un emplacement idéal dans l’une des régions les plus riches de France et carrefour de l’Europe. Les couleurs alsaciennes sont au rendez-vous ; un décor de théâtre sensé faire rêver tout visiteur.

Présenté comme unique dans son genre, ce Disneyland aux allures traditionnelles est au coeur de l’actualité régionale. On y court des quatre coins de la région ainsi que des pays avoisinants, non pas pour l’architecture mais pour faire de bonnes affaires. Dénomination pompeuse, le village se nomme, en alsacien dans le texte, ‘Roppenheim the style outlets’. A l’intérieur, en guise de devise, cette phrase : «Un nouveau style basé sur l’excellence». Quel bonheur !

Dubaï-Obernai

Cette architecture des plus classiques est en réalité le copié-collé d’un vrai village alsacien connu de tous : Obernai. Touristique, avec ses remparts millénaires, Obernai est une cité médiévale, une vraie, où les styles se mêlent harmonieusement à travers les époques. C’est également l’une des villes alsaciennes les plus visitées, un village traditionnel où il fait bon vivre et où le visiteur fait un retour significatif vers le passé.

Alors que Dubaï calquait un quartier caractéristique d’une ville distante de plus de 4.000km, l’Alsace clone le village des voisins.

Tandis que pour l’un ce geste mêle exotisme et faire valoir, pour l’autre l’âme du vrai village se perd dans les bonnes affaires. D’autant plus qu’une fois sorti de ce paradis du business, le sentiment du déjà-vu l’emporte et la question du vrai et du faux se pose.

Comment désigner cette architecture devant laquelle même le Paris de Las Vegas a plus de sens ? Du néo-Alsacien ? Ce serait une première.

N’aurait-il pas valu copier Dubaï ? Au moins cela aurait-il le mérite de la promenade…

Sipane Hoh

N.B. Cet article est paru en première publication dans le courrier de l’architecte le 23 mai 2012.