Villes flottantes, villes émergentes ?

Villes flottantes, villes émergentes ?

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Due au réchauffement climatique, l’augmentation du niveau des océans risque de chambouler, entre autres, les modes urbanistiques et architecturaux de nos villes. Comment l’architecture peut-elle faire face à ce fléau ? L’émergence des villes flottantes est-elle une réponse pertinente apte à faire évoluer l’urbanisme du XXIe siècle ?

Monde |

Les scientifiques sont presque tous d’accord, le risque climatique est sérieux ; selon les estimations les moins inquiétantes, d’ici 2050, le niveau des mers aura monté de 20 à 90cm et certaines grandes villes seront plus touchées que d’autres.

Depuis toujours, l’architecture fait face aux problématiques urbaines, qu’elles soient sociales, environnementales ou écologiques. Cette fois pourtant, il lui faudra trouver de nouvelles formes qui non seulement vont épargner à la population un exode climatique mais continueront à préserver l’équilibre fragile de plusieurs villes.

Des gouvernements se préoccupent de ce phénomène plus que d’autres, peut-être parce qu’ils sont sous une menace plus directe. Ainsi en est-il des Pays-Bas, un pays plat qui a déjà asséché une grande superficie aux alentours des grandes villes pour répondre aux besoins de sa population.

Le cas d’Amsterdam est un cas d’espèce. En 1965, Johannes Hendrik van den Broek et Jacob Bakema, deux architectes néerlandais, ont tenté de mettre en oeuvre leurs théories urbaines en proposant un plan d’aménagement pour l’extension de la ville. Le projet baptisé ‘Plan Pampus’ proposait d’assécher une partie des terres qui se trouvent autour de l’île de Pampus et d’y installer une ville nouvelle linéaire de 330.000 habitants assurant ainsi la continuité de la capitale vers l’est.

Trente ans plus tard, en 1997, l’idée oubliée depuis longtemps de ces deux architectes est relancée, cette fois-ci sous forme d’une ville aujourd’hui encore en construction. Ijburg – qui tire son nom du lac Ij – est composée de six îles artificielles élevées dans le lac et reliées entre elles. Certaines comportent des bâtiments hauts, d’autres non ; il y a des jardins et des promenades. Il s’agit en l’occurrence de la première phase d’une opération qui a vu sa deuxième phase refusée par le conseil d’Etat et ceci pour des questions environnementales.

En conséquence, l’extension de la ville en deuxième phase devra répondre à des principes jugés plus adéquats en terme de développement durable.

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A ce jour, la finalisation de la première phase est prévue en 2012, cette ville étant destinée alors à accueillir quelques 45.000 habitants tandis qu’elle devrait, d’ici 2020, compter quelques 18.000 logements dont certains seront flottants.

En effet, quand habituellement un acquéreur achète un terrain à Ijburg, le futur propriétaire prend possession d’une parcelle sur l’eau où il pourra ériger, c’est-à-dire en ce cas faire flotter, sa maison. Une nouvelle manière d’habiter dont les adeptes sont de plus en plus nombreux.

Mis à part les problèmes environnementaux envisagés pour les décennies à venir, ce mode de vie rencontre l’approbation d’une grande partie de la population et la curiosité ne se dément pas.

Prise de conscience ou effet de mode ? Difficile à dire, d’autant plus que les prix de ces logements flottants avoisinent peu ou prou ceux des logements situés dans les quartiers ‘en dur’ des alentours.

La différence ici est que la prouesse technique se mêle à l’originalité de la forme pour un résultat jugé écologique et durable. Ainsi, les maisons flottantes – un logement neuf et contemporain avec tout le confort actuel – rencontrent-elles un marché florissant.

Si ces villes flottantes conçues en périphérie, voire même en ville, sont l’un des aspects du nouvel urbanisme du XXIe siècle, il existe cependant d’autres projets, pour le moment expérimentaux qui, selon leurs concepteurs, pourraient constituer en cas de changement climatique une alternative à la ville traditionnelle.

La firme japonaise Shimizu Corporation a notamment développé un prototype unique au monde qui pourrait voir le jour à partir de 2025. Baptisée ‘Green Float’, cette ville – dont chaque module pourrait héberger jusqu’à 50.000 habitants – évoluerait sur l’océan de manière autonome. Les modules sont constitués d’un socle de deux kilomètres de diamètre et d’une tour appelée ‘City in the sky’.

Ce gratte-ciel, conçu à partir d’un métal léger dérivé du magnésium déjà présent dans les eaux salées, serait ceinturé en son socle de terres cultivables propres à garantir à ses habitants, grâce à l’agriculture, une autosuffisance totale. Même le recyclage de l’eau salée environnante a été envisagé. Cette tour pourrait atteindre jusqu’à 1.000 mètres au-dessus du niveau de la mer et l’île utiliserait tous les éléments naturels pour devenir autonome. La firme précise pouvoir bientôt mettre en oeuvre une technologie résistante aux vagues et autres catastrophes naturelles qui, à ce jour, constituent la seule entrave au développement de ce genre de projet.

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Ailleurs, en Europe, l’architecte Vincent Callebaut adresse également, parmi d’autres, la problématique des réfugiés climatiques* dans le cadre de son projet ‘Lilypad’, un nénuphar géant pouvant abriter 50.000 habitants. Cette île écologique serait non seulement autonome mais aussi mobile grâce à une technologie de pointe qui lui procurerait la capacité de suivre les courants marins.

Son ‘Ecopolis’, un prototype qui reprend la plastique de la fleur du nénuphar, est composé de trois montagnes qui entourent trois marinas autour desquelles s’articule la vie. Sa double coque est constituée de fibres de polyester recouvertes d’une couche de titane sous forme anatase* qui réagit aux rayons de soleil et capte la pollution atmosphérique. Cette ville flottante répond non seulement aux problèmes de l’immigration climatique mais serait, selon Vincent Callebaut, l’exemple même de la ville du futur qui produirait plus d’énergie qu’elle n’en consomme.

Alors que dans des pays d’Amérique du Sud, d’Afrique et d’Asie du sud-est des populations pratiquent les villes flottantes d’une manière ancestrale, une nouvelle forme de villes flottantes, auto-suffisantes et durables, mobiles et à énergie positive, peut-elle émerger et transformer notre perception de la ville ?

L’avenir nous le dira.

Sipane Hoh

*L’anatase est une espèce minérale formée d’oxyde de titane de formule TiO2 avec des traces de fer, d’antimoine, de vanadium et de niobium.

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Toutes les photos de l’album: © Luuk Kramer

Cet article est paru en première publication dans le courrier de l’architecte le 19 octobre 2011.